Utiliser une SCI pour des opérations d'achat-revente immobilière expose à un risque majeur : la requalification en activité commerciale de marchand de biens. En 2021, les activités des marchands de biens immobiliers ont généré un chiffre d'affaires hors taxes de 12,9 milliards d'euros, en hausse par rapport aux 9,8 milliards d'euros de 2020. Le secteur comptait environ 8 096 équivalents temps plein en 2021, contre 6 446 en 2020. Vous découvrirez dans la suite de cet article comment concilier optimisation successorale et stratégie d'investissement tout en évitant les redressements liés au caractère habituel des opérations.
SCI marchand de biens : attention aux pièges du statut juridique
Choisir une structure pour investir dans l'immobilier n’est jamais anodin. Entre SCI, société commerciale ou statut de marchand de biens, les implications juridiques et fiscales varient profondément. Et les conséquences peuvent être lourdes en cas de requalification par l’administration.
SCI : un outil patrimonial, mais pas une entreprise commerciale
La Société Civile Immobilière (SCI) séduit de nombreux investisseurs. Pourquoi ? Elle permet de gérer, transmettre ou louer des biens immobiliers en toute souplesse. Sa nature « civile » en fait un excellent outil de gestion de patrimoine, surtout en famille.
L’objectif ? Séparer la propriété d’un immeuble entre plusieurs associés tout en organisant les pouvoirs de chacun. Mais attention, cette structure est strictement encadrée. Son objet doit rester non commercial. Cela signifie qu’elle ne peut pas réaliser d’opérations d’achat revente dans un but spéculatif.
Une SCI avec une activité commerciale, même dissimulée, risque une requalification en société de nature commerciale. Prenons un exemple concret : un investisseur utilise une SCI pour acheter un immeuble, le rénover, puis le revendre dans l’année.
À ce stade, l’intention spéculative est évidente. Or, la jurisprudence (CE 10 juin 1996, n° 128495) a confirmé que ce type de caractère habituel peut entraîner un changement de dispositif d'imposition. La SCI perd alors ses avantages fiscaux et les ennuis commencent.
Le marchand de biens : une véritable activité commerciale
Le marchand de biens est un professionnel de l’achat immobilier dans l’intention de revendre rapidement, avec un bénéfice. À la différence d’un investisseur locatif, il ne cherche pas à générer des revenus fonciers, mais une plus-value immédiate.
L’activité de marchand est donc classée comme activité commerciale sur le plan juridique ainsi que l'impôt. Dès lors, la structure utilisée doit correspondre à cette nature. Une SARL, une SAS ou une SASU sont des formes juridiques adaptées. Pourquoi ? Parce qu’elles relèvent du dispositif de l’impôt sur les sociétés (IS), et sont soumises à la TVA immo.
Ce n’est pas tout. Le capital social, les statuts, l’objet social… tout doit refléter cette activité commerciale. À défaut, l’administration peut y voir une fraude ou, au minimum, une inadaptation juridique entraînant une requalification. Et c'est vous qui allez sortir perdant sur la durée de vos activités.
SCI et statut de marchand de biens : compatibilité et risques

La Société Civile Immobilière se définit par son objet civil exclusif selon l'article 1845 du Code civil. Ce statut permet la gestion collective d'un patrimoine immobilier sans possibilité d'exercer des activités commerciales régulières. La location nue ou la transmission successorale relèvent de sa vocation première, contrairement aux opérations spéculatives d'achat-revente.
Le principe de spécialité limite strictement les interventions commerciales accessoires. Une SCI peut exceptionnellement céder un bien pour rééquilibrer son patrimoine, à condition que ces opérations restent marginales. L'autorité compétente tolère généralement un seuil maximal de 10% de recettes commerciales annuelles.
La requalification en activité marchande survient lorsque la SCI dépasse ce cadre civil. Un arrêt récent de la Cour administrative d'appel de Marseille illustre ce risque : quatre cessions immobilières en deux ans ont entraîné une requalification malgré l'objet social initialement civil.
Le cadre fiscal des opérations sur l'immobilier
Le régime de transparence fiscale constitue l'avantage principal des SCI classiques. Les associés déclarent leurs parts de bénéfices fonciers à l'impôt sur le revenu, avec possibilité de déduire les charges réelles. Ce mécanisme diffère radicalement du traitement des marchands de biens, soumis à l'IS et à la TVA sur marge.
L'option pour l'impôt sur les sociétés transforme radicalement la donne. Les particuliers y perdent généralement l'avantage de la progressivité de l'IR, tandis que les plus-values subissent une imposition immédiate. Ce choix engage la société pour cinq exercices comptables, selon l'article 206-5 du CGI.
Les redressements fiscaux présentent un effet rétroactif particulièrement lourd. L'administration peut remonter jusqu'à dix ans en cas d'activité de commerce dissimulée, selon les dispositions de l'article L 188 A du Livre des procédures de fiscalité. Cette prescription prolongée accroît significativement les risques patrimoniaux.
Les critères de requalification par le fisc
La fréquence des transactions constitue le premier marqueur de risque fiscal. Deux opérations annuelles d'achat-revente déclenchent généralement un examen minutieux par les services de contrôle. Ce seuil indicatif s'applique quel que soit le montant des transactions réalisées.
L'intention spéculative se déduit de facteurs temporels et financiers. Un délai de détention inférieur à deux ans, couplé à des travaux importants avant revente, caractérise souvent une logique commerciale. La jurisprudence récente exige cependant la preuve combinée de l'habitude et de la recherche systématique de plus-value.
La conservation patrimoniale longue durée reste la meilleure parade contre les requalifications abusives. Une détention supérieure à cinq ans permet généralement de justifier une logique d'investissement civil. Ce délai correspond au minimum requis pour bénéficier des abattements sur les plus-values immobilières.
Les critères juridiques de la requalification : ce que regarde l’administration
Dès qu’une société effectue plusieurs opérations d’achat revente en peu de temps, elle entre dans le radar du fisc. Le caractère habituel de l’activité, couplé à une intention spéculative, suffit à prouver une activité de commerce au sens fiscal.
Un autre élément surveillé de près : l’effet de levier utilisé dans les montages. Plus le montage est complexe, plus l’administration y verra une volonté d’échapper à la fiscalité immobilière classique.
En cas de doute, elle peut se référer à des arrêts de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, comme celui du 8 juillet 1981 (CE, n° 19219) qui rappelle qu’un contribuable engageant plusieurs ventes rapprochées perd le bénéfice du dispositif d'imposition des particuliers.
Requalification d'imposition : les effets sont souvent dramatiques
Une fois la requalification prononcée, tout bascule. La société est imposée au titre de l’IS. Elle perd le bénéfice du dispositif fiscal des SCI, notamment la transparence. Les revenus sont désormais imposés directement dans l’entreprise, avec une fiscalité bien plus lourde.
À cela s’ajoute l’obligation de collecter et reverser la TVA sur les ventes. Sans oublier les pénalités pour déclaration tardive, majoration de 40 % en cas de manquement délibéré, et rectification rétroactive sur les années antérieures.
Tout compte fait, une SCI marchand qui ne dit pas son nom peut coûter cher. Très cher. Mieux vaut alors opter directement pour une société commerciale (SAS, SARL, SASU) si l’activité vise la revente spéculative de biens immobiliers.
Fiscalité, création et structuration : le vrai coût juridique de votre société immobilière

Le choix d’un statut ne se limite pas à un formulaire. Il structure la fiscalité, oriente la stratégie et conditionne la pérennité de l’investissement. Qu’il s’agisse de SCI, de société de commerce ou d’activité de marchand, chaque option implique des régimes fiscaux, des modes de création, et des effets directs sur vos revenus, vos acquisitions et votre patrimoine.
SCI : souplesse, mais limites commerciales strictes
La SCI permet par défaut une imposition à l’impôt sur le revenu (IR). Chaque associé est alors imposé personnellement sur sa part de revenus immobiliers. Cette transparence fiscale est l’un des principaux atouts de ce statut : pas d’intermédiaire entre l’immeuble et le contribuable.
Mais cette souplesse a ses contraintes. En cas de choix pour l’impôt sur les sociétés (IS), les règles changent. La société devient redevable elle-même de l’impôt. Elle peut alors amortir son immobilier, une stratégie intéressante pour lisser les bénéfices.
Pourtant, la revente entraîne une plus-value réintégrant les amortissements déduits. L’effet peut être brutal. Et surtout, attention à la limite légale. Une SCI ne peut pas, sauf exception marginale, mener une activité de commerce régulière.
Cela inclut la location meublée ou l’achat revente spéculatif. La frontière est fine, mais l’autorité en charge n’hésite plus à requalifier en société commerciale si l'activité trahit la forme juridique.
Marchand de biens : régime fiscal dur mais logique
Le marchand de biens agit dans une logique de vendre pour en tirer des bénéfices. À ce titre, il est imposé au dispositif d'imposition de l’IS. L’activité étant professionnelle, aucune place n’est laissée à la fiscalité patrimoniale.
C’est le bénéfice net de l’opération, après déduction des charges, qui est imposé. Mais ce n’est pas tout. La TVA joue un rôle central. Le marchand peut récupérer la TVA sur le prix d’acquisition, ce qui améliore la trésorerie.
En revanche, il devra collecter la TVA sur la revente (article 257 du CGI), sauf exception liée à la qualité du bien ou à sa nature (logement ancien, revente en bloc à bailleurs sociaux, etc.). Autre point crucial : les plus-values générées ne relèvent pas du régime des particuliers.
Il n’existe aucun abattement pour durée de détention. Le gain est taxable en intégralité comme un bénéfice commercial. Cela change tout sur la stratégie d’opérations immobilières répétées.
Comparatif SCI vs sociétés commerciales
La SARL immobilière s'impose comme le véhicule privilégié pour le négoce régulier de biens. Son régime à l'IS permet d'amortir les immeubles et de reporter les moins-values, avantage inconcevable en SCI classique. Cette structure offre surtout une responsabilité limitée aux apports, protégeant le patrimoine personnel des associés.
La SASU brille par sa flexibilité statutaire pour les montages complexes. Son capital variable facilite l'entrée d'investisseurs sans modifier l'équilibre décisionnel initial. Cette souplesse devient cruciale lors de levées de fonds importantes ou de partenariats avec des promoteurs immobiliers.
Les coûts de constitution varient radicalement selon le statut. Une SCI familiale standard nécessite environ 1 800€ de frais initiaux contre 4 000€ pour une SARL immobilière. Cet écart s'explique par les formalités de publicité légale et les honoraires notariaux accrus pour les sociétés commerciales.
Créer la bonne société : capital, titres, et conséquences juridiques
Passons à la création. Choisir une SCI demande rigueur. L’objet social doit être clairement rédigé. Il ne doit laisser aucun doute sur la nature civile immobilière des activités. L’omission d’un mot peut suffire à ouvrir la porte à une requalification.
De même, le capital social, même faible, doit être libéré selon les modalités déclarées. Côté société de commerce, la logique est inverse. Une SASU, une SARL ou une SAS marchand de biens nécessite une structuration adaptée à l’activité de commerce.
Le capital peut être variable, mais sa déclaration doit être cohérente avec les moyens financiers disponibles. Et ce n’est pas qu’une formalité. Le capital social joue sur la capacité d’endettement. Une banque regardera de près les apports initiaux, les titres détenus et les engagements financiers.
À défaut de fonds propres suffisants, les comptes courants d’associés deviennent une solution… mais attention, cela alourdit le passif.
Bonnes pratiques et recommandations d'experts
La consultation d'un fiscaliste spécialisé en droit immobilier s'impose avant toute opération à risque. Ce professionnel analyse l'objet social, les flux financiers et les antécédents juridiques pour anticiper les requalifications potentielles. Son expertise permet d'adapter la stratégie aux dernières évolutions jurisprudentielles et réglementaires.
Le suivi trimestriel de trois ratios clés prévient les dérives : le taux de rotation du patrimoine, la part des plus-values dans le résultat global et le ratio charges/gestion. Ces indicateurs objectivent le caractère civil des activités face à l'administration fiscale.
L'assurance protection juridique couvre requalifications abusives selon les contrats premium. Cette garantie inclut généralement les frais d'expertise comptable et les honoraires d'avocat spécialisé en droit immobilier.
En cas de litige persistant, la procédure de réclamation amiable peu coûteux. Cette démarche suspend les poursuites pendant l'instruction et permet souvent d'obtenir un accord transactionnel avant le contentieux judiciaire.
La gestion immobilière via une SCI exige de délimiter strictement activités civiles et commerciales, sous peine de requalification fiscale. Une vigilance accrue sur les opérations d'achat-revente et des mesures préventives (statuts précis, audit régulier) s'imposent. Pour les projets spéculatifs récurrents, l'adoption de structures juridiques adaptées reste la clé pour concilier performance et sécurité patrimoniale, en préservant les avantages initiaux.